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Le M23 a-t-il commis des crimes de guerre comme l’affirme Amnesty International et cible-t-il les Hutus comme l’affirme Human Right Watch ?

par Août 27, 2025Fact-checking

Dans deux rapports publiés mercredi dernier Amnesty International et Human Right Watch accusent la rébellion M23 de crimes de guerre. Une réunion d’urgence du conseil de sécurité de l’ONU s’est tenue vendredi. African Facts revient sur ces accusations et leur fiabilité.

Dans les montagnes des Virunga, à l’est de la République démocratique du Congo, des combats opposent actuellement la rébellion congolaise du Mouvement du 23 mars (M23), soutenue par l’Ouganda et le Rwanda voisins, aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé criminel formé par les responsables du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, et aux Nyatura de la Coalition des mouvements pour le changement (CMC), une milice Hutu congolaise inféodée aux FDLR. Depuis le début de l’année, les affrontements se concentrent dans le nord du territoire de Rutshuru, province du Nord Kivu. Au cours des derniers mois, des civils sont morts au cours des combats, en particulier dans les localités du groupement de Binza comme l’avait déjà relaté notre correspondant sur place.

Dans ce contexte, des allégations ont été diffusées à partir de la fin du mois de juillet 2025 par des militants proches des Nyatura – CMC, accusant le M23 de commettre des massacres et des exécutions sommaires à l’encontre des riverains Hutu de Binza. Mercredi dernier, Human Right Watch et Amnesty International ont publié deux rapports qui accusent le M23 de crimes de guerre. Vendredi se tenait une réunion d’urgence du conseil de sécurité des Nations Unies concernant la situation dans l’est de la RDC.

L’étude minutieuse des rapports de Human Right Watch et Amnesty International révèle des problèmes méthodologiques majeurs et des lacunes importantes dans la démonstration des faits présumés qui fondent les accusations graves de crime de guerre formulées par les deux ONG. S’inscrivant dans une séquence initiée par un belligérant, HRW en adopte partiellement la rhétorique et insiste sur l’appartenance ethnique des victimes présumées. Il apparaît également que seuls 8,5% des faits précis ou des événements particuliers mentionnés par Amnesty International sont véritablement documentés ou corroborés par au moins trois sources. Aucune des deux organisations ne s’est rendue sur le terrain.

African Fact avait fait le point sur les premières accusations visant le M23 au début de cette séquence médiatique et diplomatique. Le 31 juillet, Reuters publiait un article qui affirmait que le M23 aurait massacré 169 « fermiers Hutu » au cours du mois écoulé. L’agence de presse tenait ses informations du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’Homme en RDC qui lui-même se basait sur des informations que lui fournissaient un « Collectif des victimes de l’agression rwandaise » et un « Conseil territorial de la jeunesse de Rutshuru », deux organisations qui se confondent et dont une partie des membres sont des miliciens Nyatura – CMC. Le 6 août, le haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’Homme affirmait que 319 civils auraient été « tués par le M23 ». En tout, cinq bilans différents de ces crimes supposés ont été annoncés en l’espace de deux semaines auxquels s’ajoute aujourd’hui un sixième chiffre allégué par Human Right Watch.

Ce graphique montre le nombre de victimes alléguées dans les rapports, articles et déclarations entre le 25 juillet et le 22 août 2025.

Les autorités gouvernementales congolaises participent à la diffusion de ces accusations. Le 12 août, le porte-parole des FARDC publie un communiqué filmé dans lequel il affirme qu’il y aurait « des massacres ciblés des populations civiles congolaises sans défense à majorité Hutu au Nord Kivu ». Et lorsqu’une réunion d’urgence du conseil de sécurité se tient le 22 août, le représentant de Kinshasa saisit l’occasion et renchérit. « Ces crimes ont une dimension ethnique manifeste. Des civils, notamment Hutu, ont été visés pour leur seule appartenance ethnique. C’est une tentative délibérée de remodeler par la violence le tissu social congolais », affirme l’ambassadeur congolais qui parle à plusieurs reprises de « transplantation de populations non identifiées » dans les zones sous contrôle du M23.

Dans leur expression publique, les autorités de Kinshasa et leurs supplétifs misent ouvertement et depuis plusieurs années sur la haine raciste pour tenter de rassembler et de mobiliser la population contre un supposé « ennemi intérieur » dépeint comme aussi puissant qu’insaisissable : les Tutsi congolais qui seraient en réalité des « infiltrés » et conspireraient pour aboutir à la défaite et à la division du pays. Cette rhétorique xénophobe inclut notamment le fantasme d’un projet de « remplacement » de groupes considérés comme « autochtones » par opposition aux Tutsi désignés comme allogènes.

En induisant la possibilité de l’existence d’un « nettoyage ethnique » des Hutu dans son dernier rapport, l’ONG Human Right Watch prend le risque de s’inscrire dans ce narratif et de lui apporter une caution non négligeable.

Un « nettoyage ethnique » des Hutus du Rutshuru ?

Human Right Watch affirme que le M23 « a exécuté sommairement plus de 140 civils » et dit avoir interrogé 25 témoins à l’appui de ces accusations. Dans sa publication, l’ONG cite seulement trois témoignages anonymes d’individus qui affirment avoir directement assisté à 56 meurtres commis par le M23: celui d’une femme affirmant avoir été présente lors de l’exécution de 47 personnes et ceux de deux hommes affirmant chacun avoir vu des membres de leur famille se faire tuer. Trois autres meurtres mentionnés par HRW auraient été rapportés à l’une de ses sources par un autre témoin, ce qui relève du ouï-dire. Un autre mort aurait été signalé à HRW par un nombre indéfini de sources anonymes qui auraient trouvé un cadavre, ce qui ne donne par ailleurs aucune indication sur les auteurs du crime. Restent donc 81 morts concernant lesquels l’organisation ne fournit aucune explication.

L’ONG affirme bien avoir « analysé des vidéos et des photographies pertinentes » corroborant les accusations qu’elle formule. Mais elle doit reconnaître plus loin dans son rapport ne pas avoir été « en mesure de confirmer avec exactitude les lieux, dates ou heures d’enregistrement de ces images ». Faute de contexte et de recoupements concernant les circonstances de ces décès, ces éléments ne peuvent dès lors pas être considérés comme pertinents. HRW a-t-elle néanmoins inclus les dépouilles visibles sur ces images dans son décompte macabre ? Les auteurs du rapport n’ont pas souhaité répondre à cette question.

Ce graphique répartit les 141 morts allégués dans le rapport de Human Rights Watch en fonction du nombre et du type de sources : ouï-dire uniquement, une seule source anonyme, nombre indéfini de témoins, ou aucune source citée.
Répartition des morts allégués par type et nombre de sources (HRW)
Type / robustesse de sourceNombre de morts allégués
Ouï-dire uniquement3
1 unique source anonyme56
Nombre indéfini de témoins1
Aucune source citée81
Total141

Human Right Watch affirme d’emblée que « la plupart des victimes appartenaient à l’ethnie hutue » puis précise que « le M23 cible des civils hutus ». On ignore comment l’ONG détermine l’appartenance ethnique qu’elle assigne aux présumées victimes des crimes qu’elle dénonce et sur quels éléments elle s’appuie pour conclure à la réalité d’un tel ciblage. HRW insiste également sur l’utilisation supposée de machettes par le M23 pour commettre ce que sa chercheuse basée à Nairobi (Kenya) qualifie de « dizaines d’exécutions sommaires de civils principalement hutus ».

Des accusations qui font écho à l’article de Reuters du 31 juillet qui déjà affirmait que les « fermiers Hutus » seraient spécifiquement « visés » par le M23 dont les combattants commettraient leurs crimes « armés de machettes ». Mais Human Right Watch va encore plus loin et ajoute que cela « soulève de graves préoccupations de nettoyage ethnique ».

Le rapport de Human Right Watch s’inscrit ainsi dans une séquence médiatique et diplomatique qui a débuté un mois auparavant avec l’article de Reuters puis les déclarations du Haut-commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies. On ne peut que constater que les dates, les lieux et les circonstances des événements mentionnés par HRW dans son document correspondent aux allégations portées par des organisations et des individus proches des Nyatura et des FDLR. C’était déjà le cas deux semaines plus tôt quand des accusations similaires étaient formulées par des fonctionnaires des Nations Unies auxquels ces mêmes acteurs avaient fourni les sources supposées les corroborer. HRW n’apporte pas d’éléments supplémentaires à l’appui de ces accusations.

Difficile de ne pas soupçonner l’influence des mêmes activistes proches des FDLR et des Nyaturas dans les accusations de ciblage ethnique et d’utilisation de machettes portées par Reuters puis Human Right Watch à l’encontre du M23.  On y décèle, en filigrane, les ingrédients de la thèse négationniste du « double génocide » imaginée par les génocidaires rwandais et leurs soutiens immédiatement après le génocide de 1994 et inlassablement ressassée depuis. Selon cette thèse, le génocide des Tutsis du Rwanda aurait été suivi d’un génocide des Hutus au Congo. Une accusation en miroir qui transforme les victimes en bourreaux et, par un retournement dialectique fallacieux, relativise les faits et rétablit chez les observateurs étrangers une représentation biaisée – et empreinte de racisme – de la réalité : au cœur de l’Afrique profonde, deux ethnies mues par une rivalité atavique s’entre-tueraient à coup de machettes.

Pour tenter de mieux comprendre, African Facts a contacté la chercheuse qui a rédigé le rapport de Human Right Watch. Celle-ci nous a orienté vers le directeur Afrique de l’ONG qui a refusé de discuter au téléphone et exigé des questions écrites. Nous les lui avons transmises. Il n’y a pas répondu.

D’autres accusations de crimes de guerre

African Facts a également lu avec attention le rapport d’Amnesty International publié le même jour que celui de Human Right Watch. L’ONG ne reprend pas les allégations concernant de supposés massacres qui auraient eu lieu dans le groupement de Binza. En revanche, elle accuse le M23 de viols, d’exécutions arbitraires, de violences physiques, d’enlèvements, d’attaques d’hôpitaux et d’attaques contre des défenseurs des droits humains.

Nous avons dénombré 47 faits précis ou événements particuliers évoqués dans le corps de ce document et correspondant à des crimes présumés du M23. Nous avons porté une attention particulière aux sources sur lesquelles se base l’organisation qui a l’honnêteté de les mentionner systématiquement.

Pour chaque événement particulier ou fait précis mentionné dans son rapport, Amnesty International ne produit dans 31 cas qu’un unique témoignage anonyme.  Pour présenter au public des vérités de fait, la rigueur impose normalement de recouper une multiplicité de sources indépendantes les unes des autres, pour chaque événement ou situation que l’on décrit. Ce n’est visiblement pas le cas ici.

Par ailleurs, certains des témoignages exposés par l’ONG lui ont été rapportés, mais n’ont pas été recueillis auprès de ceux qui les auraient produits. D’autres sont présentés comme des « entretiens avec une personne ayant connaissance des faits » ou encore une « source confidentielle ».  Il s’agit donc dans chacun de ces cas de ouï-dire. Un propos par nature sujet à caution qui ne peut se suffire à lui-même. Et, pas moins de 6 faits reposent uniquement sur ce type de sources.

Ce graphique répartit les 47 faits allégués dans le rapport d'Amnesty International en fonction du nombre et du type de sources sur lesquels ils s'appuient selon qu'il s'agisse de ouï-dire uniquement, d'une seule et unique source anonyme, de deux sources anonymes, de trois sources anonymes ou bien d'une preuve matérielle.
Nombre de faits par type de source
Type de sourceNombre de faits
Ouï dire uniquement6
1 unique source anonyme31
2 sources anonymes6
3 sources anonymes1
Preuve matérielle3

Un seul des faits allégués par Amnesty International s’appuie sur trois sources, quand bien même celles-ci demeurent anonymes et l’une d’entre elles s’avère indirecte. Deux cas de violences et un meurtre sont documentés par des vidéos. Au-delà de l’effet d’accumulation produit par l’argumentation de l’ONG et de l’émotion qu’il suscite, ce sont donc 4 faits sur 47 qui reposent sur un minimum acceptable d’éléments. Cela représente 8,5% de ceux mentionnés dans le rapport.

Ce graphique montre pour chaque grande catégorie d'accusations la robustesse des sources qui corroborent chaque fait selon qu'il s'agisse de ouï-dire, d'une seule et unique source, de deux sources, de trois sources ou bien d'une preuve matérielle.
Robustesse des faits par type de source
Type de faits Ouï dire uniquement 1 source 2 sources 3 sources Preuve matérielle
Attaques DDH219000
Viols16200
Attaques contre les hôpitaux33210
Exécutions sommaires et meurtres12101
Violences physiques00002
Enlèvements de jeunes hommes01100

À la lecture du rapport, on ne peut que s’interroger quant à l’utilisation par Amnesty International, dans son enquête, de verbes conjugués au présent ou au passé de l’indicatif alors même que le conditionnel devrait s’imposer dès lors que l’on ne dispose pas d’élément matériel ou de sources se recoupant pour permettre d’établir des vérités de fait précises, circonstanciées et contextualisées. Sur la forme, on est loin des formulations prudentes qui sont habituellement la norme pour ce type de documents.

African Facts a contacté Amnesty International pour tenter de comprendre.« Je ne pense pas que ce framing [cadrage NDLR] soit correct », réagit Christian Rumu qui a participé à la campagne de plaidoyer de l’ONG accompagnant la sortie du document. « On n’a pas parlé de chaque événement en profondeur et je ne veux pas aller dans le détail par peur d’exposer les personnes qui nous parlent. Je crois que notre méthodologie est assez claire dans le rapport. Votre volonté de comprendre pour chaque incident comment on est parvenu à une conclusion, je ne pense pas que ça corresponde à notre manière de faire les choses. Pour la manière dont on conclut ou dont on fait le fact-checking de ces incidents, je me retiendrais vraiment de m’y aventurer », élude-t-il.

Toutes les allégations de l’ONG doivent selon nous être considérées dès lors avec une extrême prudence.

La fiabilité des sources et des chercheurs en question

Human Right Watch et Amnesty International ne se sont pas rendus sur place et n’ont rencontré physiquement aucun des témoins cités. C’est une autre grande faiblesse que partagent les deux enquêtes. Celles-ci ont manifestement été conduites à des milliers de kilomètres des lieux où se seraient déroulés les faits allégués.

Par ailleurs, tous les témoignages que produisent les deux organisations sont anonymes. L’anonymisation des témoins se justifie parfaitement pour protéger des sources. En revanche, faire reposer des accusations pénales aussi graves que celles de crimes de guerre ou des allégations telles que celles de « nettoyage ethnique » uniquement sur des sources anonymes sans qu’aucun élément matériel ni qu’aucune source identifiée ne les confirme semble particulièrement imprudent.

L’accès direct au terrain et aux témoins, le recoupement des faits, l’absence de biais idéologiques visibles, la non-belligérance, la transparence méthodologique et la vérifiabilité – autant que faire se peut – des affirmations constituent autant de critères objectifs qui devraient sous-tendre et structurer le travail des organisations de défense des droits de l’Homme et des journalistes en toute circonstance. D’autant plus quand les conflits armés s’accompagnent d’une guerre de l’information.

Ce diagramme évalue la fiabilité des acteurs ayant produit des données en fonction de sept critères de fiabilité. Passez le curseur sur un acteur dans la légende pour le mettre en avant.

Mais dans ces montagnes au cœur de l’Afrique que certains aimeraient, semble-t-il, continuer de dépeindre comme lointaines et ténébreuses, ces principes élémentaires ne paraissent pas s’appliquer. On en façonne les récits et distribue les bons comme les mauvais rôles depuis l’extérieur, en dehors de toute considération pour la réalité des faits. Durant la période couverte par le rapport d’Amnesty International, au moins trois civils ont été lynchés à mort puis mangés par des miliciens pro-gouvernement dans la zone concernée. L’ONG n’en dit pas un mot.

27 Août 2025

MÉTHODOLOGIE L’utilisation nébuleuse des sources par les deux ONG a rendu épineuse l’analyse des deux rapports. Nous avons choisi de comptabiliser comme témoins uniquement les personnes explicitement présentées comme telle à l'exception de celles dont les récits induisent qu'elles n'ont pas directement assisté aux crimes. Nous avons comptabilisé comme ouï-dire les propos des personnes rapportant aux ONG les témoignages d’autres témoins ainsi que les personnes citées par Amnesty International dans ses notes de bas de page comme « ayant connaissance des faits » ou bien « source confidentielle » là où tous les autres sont cités comme « témoins ». Nous avons décompté comme des faits précis chaque acte criminel et chaque événement particulier revêtant une unité de temps et de lieu. L'attribution d’un « score » dans l’évaluation de fiabilité a pour vocation de rendre perceptibles et visualisable dans un diagramme les différents points abordés dans nos deux articles de fact-checking et de les mettre en perspective. Nous n’avons pas attribué tous les points au bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’Homme en RDC dans les critères de présence sur le terrain, d’accès direct aux témoins et de non-belligérance. Bien que présente au Nord-Kivu, la mission de l’Organisation des Nations unies pour le Congo n’est pas déployée dans la zone de Binza et n’a par conséquent pas réellement d’accès direct aux témoins. Par ailleurs, bien qu’étant une mission de maintien de la paix, il s’agit d’une force armée dans une zone de guerre. C’est ce que nous avons voulu rendre perceptible. Nous n’avons pas attribué tous les points à HRW dans le critère d’absence de biais idéologique pour les raisons développées dans l’article. Nous avons établi trois sous-critères concernant la transparence méthodologique: la mention systématique et claire des éléments permettant d’établir les faits, la rigueur dans la démonstration et la prise en compte de tous les belligérants.

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