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Enfièvrement raciste : les Maasaï victimes de rafles et de lynchages dans l’est de la République Démocratique du Congo

par 12 septembre 2025Enquête

Au Nord-Kivu et en Ituri, les services de renseignements congolais, l’armée et les milices Wazalendo ont entrepris des rafles à l’encontre des vendeurs ambulants Maasaï. L’un d’entre eux est mort brûlé vif en public le 2 septembre dernier.

« On s’était habitué à être beaucoup insulté. On nous traitait de serpents ou ce genre de choses. Jusque-là, nous ne savions pas que ces insultes étaient graves en réalité et qu’elles pouvaient déboucher sur de telles choses », constate amèrement Ole, un vendeur ambulant tanzanien récemment expulsé de République démocratique du Congo vers l’Ouganda après avoir été arrêté, détenu et maltraité pendant plusieurs semaines. « On se demande pourquoi personne autour de nous et dans le reste du monde ne s’inquiète de ce qui est en train de nous arriver », s’interroge Ole. Originaires d’une région qui s’étend de part et d’autre de la frontière entre la Tanzanie et le Kenya et reconnaissables à leur shúkà traditionnel, une large étoffe à carreau généralement rouge dans laquelle ils se drapent, de nombreux hommes de la communauté Maasaï parcourent les pays d’Afrique de l’Est pour vendre des sandales et de petits articles de maroquinerie.

Aux alentours du 20 août 2025, l’ANR (Agence nationale de renseignement congolaise) et les forces armées congolaises épaulées par les milices Wazalendo (« les patriotes » en kiswahili) ont entrepris des opérations de traque des Maasaï dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri, dans l’est de la RDC. Celles-ci ont débouché sur de véritables rafles. Et, le 2 septembre 2025, un jeune vendeur ambulant kényan était lynché et brûlé vif en public. Les faits se sont déroulés selon toute vraisemblance à Mambasa, en Ituri. African Facts est parti à la rencontre de ces Maasaï et a enquêté sur cette escalade raciste.

Des rafles au lynchage

« En août, on a commencé à nous arrêter partout où nous étions et à nous amener aux bureaux de l’ANR. Les Wazalendo prenaient part à ces opérations. Que l’on soit kényan ou tanzanien, on était arrêté et enfermé indifféremment, uniquement parce que nous étions Maasaï », relate Isaya, un vendeur ambulant Maassaï rencontré par African Facts. Depuis un décret présidentiel de novembre 2023, l’appellation Wazalendo désigne un ensemble hétéroclite de groupes armés dont les membres sont désormais officiellement considérés comme des « réservistes ». « Dans ce pays, il n’y a aucune paix. On peut être arrêté arbitrairement à tout moment, sans enquête et sans égard pour la réalité de notre activité », regrette Isaya.

Une vidéo filmée à Butembo au cours de ces rafles circule rapidement sur des groupes WhatsApp. On y voit sept Maasaï assis à l’arrière d’un pick-up, serrés les uns contre les autres, encadrés par deux militaires debout tandis que quatre autres bidasses se tiennent autour de la benne. « Ils vont être trop serrés… », observe un homme qui s’exprime en kiswahili. « Ils doivent tous entrer dedans. Qu’ils entrent ! S’ils ne comprennent pas, on va les frapper ces Maasaï ! », s’écrie un officier en lingala, langue officielle largement parlée à l’ouest du pays et dont l’usage est généralisé dans l’armée régulière.

Le même jour, sur un groupe WhatsApp de militaires congolais auquel African Facts a pu avoir accès, un participant informe ses collègues en lingala : « Beaucoup de gens qui travaillent avec le M23 marchent et font comme s’ils vendaient les sandales, mais ils collectent des informations. Ils entrent à Butembo et Beni et ensuite ils font des rapports à leurs chefs. Ils sont même dans les restaurants. Il faut faire attention ».

Les malheureux sont emmenés dans les locaux des services de renseignements. « À l’ANR, nous avons été maltraités. On nous a fait de mauvaises choses. On nous a fait mal. Ils nous disaient“On va vous brûler, car c’est vous qui amenez la guerre ici” », se remémore l’un d’eux avec effroi.« Moi j’ai eu la chance d’être aidé par des fonctionnaires de l’immigration de Butembo qui m’ont emmené en Ouganda. Un autre groupe d’environ dix-sept Maasaï a été pris par la police après moi et enfermés par l’ANR », explique Isaya.

À la suite de fortes pressions exercées par l’ambassade de Tanzanie, les autorités congolaises expulsent finalement un certain nombre de ces Maasaï vers l’Ouganda. African Facts s’est entretenu avec une partie d’entre eux. « On a été arrêté à Butembo. Les Wazalendo étaient avec les soldats. Ils opèrent ensemble si bien qu’on ne les distingue pas toujours vraiment. On a été emmené dans un camp militaire à Beni où on est resté enfermé trois semaines. Des fois des Wazalendo venaient au camp pour nous recenser. Quand on est sorti de là, on nous a pris à nouveau et emmenés dans une prison. On nous a séparés. Les uns sont allés avec l’ANR pendant trois jours avant d’être expulsés en Ouganda. Nous autres sommes restés avec les soldats », résume Ole qui se fait le porte-parole de ses compagnons et évoque, non sans gène, leur calvaire. « Je ne sais pas comment le dire. Mais là-bas, on nous a vraiment maltraités et je me suis même demandé si j’allais revoir mon pays. Quand les soldats ont commencé à nous faire mal, l’ANR aussi était là. On nous a traités de cette manière pendant environ un mois. Je ne suis pas très à l’aise pour en parler. Heureusement, nous nous en sommes sorti vivants, mais ce que nous avons subi là-bas était vraiment horrible ».

African Facts a tenté de contacter des autorités de Butembo qui n’ont pas répondu à nos sollicitations.

Certains Maasaï s’avèrent moins chanceux encore. Ils sont contraints d’emprunter d’autres axes et de s’enfoncer profondément dans l’arrière-pays. Une partie d’entre eux se retrouvent dans la localité de Mambasa dans la province de l’Ituri, presque 200 km au nord de Butembo, à l’orée de la Réserve de faune à okapis, dernier refuge du mammifère éponyme.

Mais à Mambasa, d’autres milices Wazalendo sévissent. Le 2 septembre 2025, la psychose raciste atteint cette bourgade reculée où les événements vont prendre une tournure dramatique.

Sur place, un habitant filme. Au milieu d’un carrefour en terre battue, une fumée blanche s’échappe d’un feu alimenté par un petit amoncellement de bois vert dont dépassent deux jambes. Elles bougent. L’homme enseveli dans ce bûcher improvisé vit encore.« Il ne peut pas se remettre debout. Il ne peut pas se relever. », se réjouit l’un de ses bourreaux.« Il respire encore », s’exclament des mamans et des enfants rassemblés autour du tas de branches qui s’agite. Le malheureux tente de se dégager pour se redresser, suscitant des piaillements d’excitation, des rires et des applaudissements chez les bambins et les curieuses. Le visage de la victime qui émerge péniblement est gonflé et recouvert de sang. Aussitôt, l’un de ses tortionnaires le recouvre à nouveau de végétaux. « N’éteins pas le feu ! N’éteins surtout pas le feu ! », lui intime un autre. La victime est morte ainsi, brûlée vive devant un public hilare ou indifférent.

Dans un groupe WhatsApp d’habitants de la région qu’African Facts a consulté, une femme s’adresse à l’une de ses amies le jour même. « Salut toi ! Comment vas-tu ? Bien ? L’événement là continu à Mambasa. Les gens qui passent avec les souliers alors qu’ils sont du M23, on est en train de les prendre. L’un d’entre eux, on est en train de le brûler », lui explique-t-elle tranquillement.

« Nous savons qu’au moins l’un d’entre nous est mort, mais nous ne parvenons pas encore à réunir toutes les informations parce que nous avons fui dans toutes les directions », déplore Ole. « Normalement, quand nous voyageons, nous portons nos tenues traditionnelles et nous nous déplaçons ensemble. Mais maintenant, nous avons été dispersés par ces événements et nous nous retrouvons éparpillés et isolés les uns des autres. Beaucoup d’entre nous ont même retiré leur tenue et se sont changés pour essayer d’échapper à tout ça. Certains ont même dû fuir dans des forêts… »S’il semble qu’une grande partie des ressortissants tanzaniens ont pu être libérés et expulsés, le sort des Maasaï kényans qui se trouvaient en RDC à cette période demeure méconnu et incertain.

« Les serpents nous infiltrent »

Au premier abord, un homme semble être à l’origine de cette funeste série d’événements : Benoit Muhindo Mukumbatiya. Il occupe actuellement le rang de colonel au sein des Wazalendo et dirige l’une de ces milices, baptisée Force d’action rapide (FAR-W). Ce groupe armé est lié à un politicien du nord Kivu, l’actuel député de Goma et ministre du Développement rural de la RDC, Muhindo Nzangi. Ce dernier dirige depuis 2022 son propre parti, l’Action des volontaires pour la relève patriotique (AVRP) au sein duquel Benoit Mukumbatiya était initialement chargé de la mobilisation. Sollicités par African Facts, ni l’un ni l’autre ne nous ont répondu.

Le 20 août 2025, depuis Butembo, le colonel Benoit Mukumbatiya diffuse une vidéo dans laquelle il s’exprime en kiswahili, la langue véhiculaire dans l’est de la RDC. Son message est très clair.« Alerte ! Alerte ! Alerte ! Alerte ! À la population de Butembo, Beni, Lubero, partout où il y a la guerre. […] La population est en danger à cause de ces Maassaï qui vendent des souliers. J’alerte en disant à tous les commerçants des villes de Butembo et Beni, tous ceux qui louent des chambres d’hôtel à ces gens : on vous prévient en avance pour que vous ne puissiez pas dire que vous ne saviez pas. Si on vient et qu’on les rencontre, on fermera toutes les portes et on mettra des cadenas », menace-t-il. Selon lui, le négoce des « étrangers » Maasaï serait illégal et se ferait au détriment des « autochtones ». À son goût, les Masaï mèneraient par ailleurs un train de vie trop élevé lors de leur passage, sans rapport, toujours selon lui, avec leur activité de vendeurs ambulants. Il durcit le ton. « Nous allons annoncer à tous les chefs de quartier et leurs subordonnés qu’ils doivent savoir qui rentre et sort. Ils doivent regarder chaque personne qui en visite une autre pour savoir de qui il s’agit et quels sont ses motifs. Parce que les serpents nous infiltrent. Nous alertons pour que les serpents ne viennent pas mordre les gens. Soyez attentifs ! »

La diffusion de cette déclaration filmée du colonel Mukumbatiya s’accompagne d’un message explicite qui annonce l’imminence d’une opération au nom éloquent : « Luka wapi Masaï » (Cherchez les Maasaï). Il se termine par un slogan en kiswahili : « Hange nyoka isiku lume ». Depuis plusieurs années, cette formule déshumanisante et évocatrice qui signifie « Tuez le serpent avant qu’il ne vous morde » est devenue un signe de ralliement chez les activistes et les miliciens xénophobes de la région. Initialement, elle stigmatise les personnes identifiées par ces derniers comme Tutsi.

Trois jours seulement après cette vidéo du colonel Mukumbatiya, le 23 août 2025, l’ANR, les militaires et les Wazalendo déclenchent leur opération de traque et d’arrestation des Maasaï à Butembo.

Si la responsabilité de Benoit Mukumbatiya ne fait aucun doute, les Maasaï ont pour leur part observé tout autre chose et perçu différemment la genèse de leur persécution. « Ça a commencé à Butembo. Les gens du bureau de l’ANR sont les premiers à avoir répandu l’idée que leurs ennemis s’introduiraient grâce aux Maasaï. Ils ont formé des groupes dans lesquels ils ont commencé à abîmer notre réputation et nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas, à dire que nous sommes de mauvaises personnes qui amènent la guerre, à nous traiter d’ennemis. On nous a même accusés de vouloir tuer la population », raconte Isaya qui s’accorde sur ce point avec les douze autres membres de sa communauté rencontrés par African Facts. 

Derrière le discours en apparence incontrôlé de Benoit Mukumbatiya, les services de renseignements congolais pourraient bien avoir tiré les ficelles. La connivence entre l’ANR et les miliciens se confirme d’ailleurs au fil des témoignages livrés à African Facts par de nombreux Maasaï qui sont parvenus à quitter le pays.

Métastase d’un nazisme tropical

« Je ne comprends pas comment les habitants de ce pays voient les choses. Nous, nous sommes des Maasaï. Nous allons dans tous les pays pour faire du commerce. Mais ce pays-là est vraiment en désordre. C’est un problème. On nous a demandé de quelles ethnie ou tribu nous sommes, ce que nous faisions là et on nous a dit que l’on ne voulait pas de nous. Le problème de ce pays, c’est que les gens raisonnent uniquement à travers ces histoires d’ethnies. On te résume à ça et on t’attaque pour cette raison. Nous, nous respectons toujours la culture des pays que nous traversons, mais nous ne comprenons vraiment pas pourquoi ce pays-là fonctionne comme ça », se désole Ole. Désormais, lui et certains de ses compagnons d’infortune se sont résignés à éviter la RDC.« Parmi tous les pays où nous allons, c’est le seul qui a de tels problèmes. On souhaiterait que ce pays soit en paix, mais s’ils n’y arrivent pas, nous pouvons voyager ailleurs ».

Cette culture raciste importée dans l’est de la RDC par les génocidaires rwandais qui s’y replièrent avec familles, armes et bagages en 1994, a prospéré au point d’être devenue hégémonique dans l’espace culturel, les représentations et les discours des Congolais. Élaborée et longuement mûrie par les élites intellectuelles rwandaises, elle causa la mort d’un million de personnes en 1994 au cours du génocide des Tutsi du Rwanda. Cette idéologie bénéficie aujourd’hui de l’appui, voire même de l’adhésion, des autorités de Kinshasa qui en ont fait un fétiche en mobilisant la population contre un supposé « ennemi intérieur » incarnant une altérité et une adversité radicales.

« On ne se reproche rien. Nous ne portons pas d’armes, nous n’en voulons à personne. On a l’impression d’être manipulé sans comprendre pourquoi », constate Isaya, désemparé. À travers les Maasaï, c’est la présence, conçue comme abstraite, insaisissable, mobile et universelle, de ceux que cette idéologie appréhende comme un danger réel et immédiat et désigne comme des « hamites » qui est en fait visée. Comme les Tutsi du Kivu et les Hemas d’Ituri, les Maassaï personnifient et cristallisent à ce titre les profondes angoisses que ces militants distillent au sein de la population congolaise depuis maintenant trois décennies. C’est ainsi fétichisé que les Maasaï peuvent cesser d’être considérés pour ce qu’ils sont, des civils modestes et pacifiques, et être traités comme des « ennemis » mortels qu’il s’agit d’éradiquer.

L’utilisation au cours des récents événements des mêmes procédés rhétoriques et des mêmes formules codées, habituellement mobilisées contre les Tutsi, démontre que ceux-ci trouvent chez leurs promoteurs une application plus large et ne peuvent manquer de s’étendre à d’autres individus et à d’autres régions jusque-là épargnées. Des crimes tels que le lynchage survenu à Mambasa sont rendus possibles par l’existence dans cette région au cœur de l’Afrique de forces politiques et militaires qui promeuvent une vision du monde réactionnaire et profondément raciste et qui disposent de moyens sans-précédents.

12/09/2025 | Enquête

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